Coronavirus : cinq minutes pour comprendre le fonctionnement de l’OMS

L’Organisation mondiale de la santé, très critiquée ces derniers jours, a finalement décrété jeudi l’urgence internationale face au coronavirus. Le nombre de morts a dépassé les 200 en Chine.

 Le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé, Tedros Adhanom Ghebreyesus, lors d’un discours le 21 mai 2018.
Le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé, Tedros Adhanom Ghebreyesus, lors d’un discours le 21 mai 2018. Montage LP - AFP/Fabrice Coffrini

    Trois semaines après l'identification du premier cas de coronavirus, l'Organisation mondiale de la Santé a décrété l'urgence internationale jeudi soir. « Selon l'OMS », « l'OMS a décidé », « sur recommandation de l'OMS »… En pleine épidémie mondiale de coronavirus, et comme à chaque crise sanitaire, l'Organisation est au premier plan.

    Ce vendredi, on compte 213 personnes décédées en Chine depuis début janvier, tandis que près de 10 000 cas ont été détectés dans le monde. Et l'épidémie se propage à de plus en plus de pays. En France, on compte six malades hospitalisés, et au moins quatre d'entre eux ont récemment voyagé en Chine.

    Jusqu'à jeudi, l'OMS n'avait pas décidé de décréter une urgence sanitaire mondiale. Ce qui avait entraîné la suspicion de pressions exercées par la Chine. La réunion du jour a cependant changé la donne. « Notre plus grande préoccupation est la possibilité que le virus se propage dans des pays dont les systèmes de santé sont plus faibles (…). Il ne s'agit pas d'un vote de défiance à l'égard de la Chine », a expliqué le directeur général de l'OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus.

    À quoi sert l'OMS ?

    L'organisation mondiale de la santé, créée en 1948, a pour mission « de diriger et de coordonner la santé mondiale au sein du système des Nations Unies », comme indiqué sur son site Internet. Elle est dirigée, depuis 2017, par l'homme politique éthiopien Tedros Adhanom Ghebreyesus, et elle compte 192 États membres.

    Ses actions sont très variées : établissement de normes et de médicaments essentiels, conseils de comportement alimentaire (comme la fameuse recommandation « cinq fruits et légumes par jour »), lutte contre les maladies infectieuses et les épidémies, recherche médicale sur les vaccins, etc.

    L'OMS disposait d'un budget de 4,4 milliards de dollars pour les années 2018 et 2019, selon les chiffres les plus récents. La plus grosse partie de cette somme (plus de 800 millions) est consacrée à la lutte contre les maladies transmissibles, comme le sida. Près de 600 millions de dollars servent à améliorer les systèmes de santé, notamment des pays les plus pauvres. Les maladies non transmissibles (accidents cardiaques, diabète, etc) représentent un budget de 351 millions de dollars.

    Comment fonctionne-t-elle en cas de crise ?

    En cas de crise sanitaire mondiale, l'OMS forme en son sein un comité d'urgence, chargé d'émettre des recommandations au directeur général. C'est ce dernier qui choisit les membres de ce comité, parmi une liste de responsables internationaux spécialisés dans différents secteurs médicaux.Ces experts doivent dire si la crise en cours constitue une « urgence de santé publique de portée internationale », c'est-à-dire « un événement extraordinaire dont il est déterminé qu'il constitue un risque pour la santé publique dans d'autres États en raison du risque de propagation internationale de maladies et qu'il peut requérir une action internationale coordonnée ». Ce dispositif a été mis en place en 2005, après l'épidémie de Sras venue de Chine. « Il faut au moins deux choses : qu'il y ait une épidémie grave dans un pays, et qu'il y ait une démonstration avérée de transmission de personne à personne dans au moins un autre pays », indique Marie-Paule Kieny, directrice de recherche à l'Inserm et ancienne sous-directrice de l'OMS (2011-2017).

    Ses recommandations sont-elles contraignantes ?

    Si le directeur général de l'OMS décide de déclarer une urgence, internationale, il peut imposer certaines mesures aux pays concernés « pour protéger les populations des conséquences des épidémies », tout « en évitant de créer des entraves inutiles au trafic et au commerce internationaux », précise le site de l'OMS. Cela peut passer par la restriction des déplacements ou des transports de marchandises, ou par un suivi accru des populations, par exemple. En juillet 2019, pour lutter contre la fièvre Ebola, l'OMS avait demandé aux Etats concernés en Afrique de renforcer la surveillance dans les aéroports et les ports avec des contrôles systématiques des passagers. « Ces recommandations s'imposent aux Etats membres », souligne Marie-Paule Kieny. Mais au sens onusien du terme. « L'OMS n'est en effet pas dotée de mécanismes de sanction, [mais] les pays qui ne suivraient pas ces recommandations se mettraient dans une situation difficile et pourraient subir des pressions de la part des autres pays », ajoute l'experte.

    D'où vient son financement ?

    Les États membres versent une contribution fixée, avec un barème différent en fonction de leur taille et de leur niveau de vie. Les cinq pays qui contribuent le plus sont, dans l'ordre, les Etats-Unis, le Japon, la Chine, l'Allemagne, et enfin la France, qui a versé environ 60 millions de dollars pour 2016 et 2017.

    Mais la plus grosse partie du financement de l'OMS (environ 80 %) vient de contributions volontaires, par ces mêmes pays ou par des fonds privés, fondations, et autres organisations internationales. Ces sommes sont souvent destinées à des programmes spécifiques, comme la lutte contre telle maladie ou l'aide à tel pays. « Toutes ces contributions doivent entrer dans le cadre du budget voté par les Etats membres tous les deux ans », nous précise Marie-Paule Kieny.

    Durant la seule année 2017, les Etats-Unis ont versé plus de 400 millions de dollars supplémentaires. Parmi les contributeurs non étatiques, le plus généreux a été la fondation Bill & Melinda Gates, avec près de 325 millions de dollars. « Il y a trente ans, lorsque nous avons fondé Microsoft, nous avions un projet ambitieux : un ordinateur pour tout le monde. Aujourd'hui, nous poursuivons un idéal plus grand encore, à savoir une bonne santé pour chaque être humain », clamait Bill Gates dans une séquence du documentaire « L'OMS, un grand corps malade », diffusé sur Arte l'an dernier.

    Au final, contributions fixées et volontaires cumulées, les États membres financent environ pour moitié l'OMS.

    Pourquoi a-t-elle été elle critiquée sur le coronavirus ?

    Le comité d'urgence lié au coronavirus est composé de 15 membres, dont un Français et un Chinois. Réunis une première fois jeudi et mercredi dernier, ces experts n'avaient pas recommandé de décréter une « urgence de santé publique de portée internationale », jugeant qu'il était « trop tôt » pour cela. Selon Le Monde, le représentant chinois aurait déclaré à cette occasion qu'il « était hors de question de déclarer » une telle urgence.

    « La Chine n'avait pas intérêt à ce que l'OMS décide d'une urgence internationale, donc il y a aussi une motivation politique dans la décision du comité. Mais il faut rappeler qu'il n'y avait alors pas beaucoup de pays touchés, et pas encore de cas secondaires [transmission d'humain à humain, NDLR] », estime Antoine Bondaz, chercheur à la fondation pour la recherche stratégique et spécialiste de la Chine.

    Or, depuis une semaine, le nombre de victimes et de décès n'a cessé de croître. Un premier cas de transmission entre humains en Europe a été détecté, en Allemagne.

    De retour de Chine mercredi, le directeur général de l'OMS avait d'ailleurs annoncé avoir convoqué une nouvelle fois le comité d'urgence ce jeudi, en raison d'un « risque de propagation mondiale ». Comité à l'issue duquel l'urgence internationale a été décrétée. Une issue prévisible, selon Antoine Bondaz, car « toutes les conditions étaient réunies ».

    Quels sont les précédents cas de crise d'urgence mondiale ?

    Une telle mesure a déjà été prise lors de précédentes graves crises, comme la grippe porcine H1N1, le virus Zika ou encore la fièvre Ebola. Durant la grippe H1N1, l'organisation avait, à l'inverse d'aujourd'hui, été accusée par certains observateurs d'avoir déclaré de façon un peu trop hâtive l'état de pandémie. Certains experts consultés étaient liés à des groupes pharmaceutiques, bénéficiaires des ventes de médicament et de vaccins, ce qui pouvait entraîner des conflits d'intérêts.

    Des soupçons dont l'OMS avait été en très grande partie blanchie par un rapport officiel, en novembre 2011. « On assiste à une montée des complotistes. Moi qui étais en première ligne, je peux vous dire que l'OMS n'a pas été influencée », enrage Marie-Paule Kieny, jugeant que l'organisation « est toujours critiquée, quoi qu'elle fasse ».

    VIDÉO. Les rues de Wuhan désertées par 11 millions d'habitants