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Qualité de l'air : la Commission européenne poursuit la France en justice

La Commission a annoncé jeudi renvoyer la France et cinq autres pays devant la Cour de justice européenne, alors que se tenait au même moment une audience, les villes de Paris, Bruxelles et Madrid lui reprochant d'avoir laissé un «permis de polluer» aux constructeurs automobiles.
par Ariane Debernardi
publié le 17 mai 2018 à 19h17

La Commission européenne a annoncé jeudi qu'elle saisissait la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) concernant six pays – dont la France – pour «dépassement des valeurs limites de qualité de l'air fixées et manquement à l'obligation de prendre des mesures appropriées pour écourter le plus possible les périodes de dépassement». L'UE reproche à la France, à l'Allemagne et au Royaume-Uni d'avoir dépassé les valeurs limites de dioxyde d'azote (NO2), tandis que la Hongrie, l'Italie et la Roumanie sont concernées par des concentrations élevées persistantes de particules (PM10).

Cette décision n’est pas une surprise. Le 30 janvier, Karmenu Vella, le Commissaire européen chargé de l’environnement, avait reçu Nicolas Hulot et ses homologues de huit autres pays européens lors d’un sommet ministériel sur la qualité de l’air. Il leur avait accordé un dernier délai pour présenter un plan d’action pour réduire la pollution de l’air. Le ministre de la Transition écologique avait présenté le 13 avril la «feuille de route» concernant les quatorze zones critiques : Ile-de-France, Marseille, Nice, Toulon, Lyon, Grenoble, Saint-Etienne, Valence, vallée de l’Arve, Strasbourg, Reims, Montpellier, Toulouse et la Martinique.

Aux yeux de la Commission, la France, l'Allemagne, le Royaume-Uni, la Hongrie, l'Italie et la Roumanie n'ont pas présenté «des mesures crédibles, efficaces et en temps utile pour réduire la pollution». Les plans des trois autres pays qui étaient en sursis «semblent être de nature à pouvoir remédier aux insuffisances constatées», mais restent sous surveillance de la Commission.

Saisir la justice est le dernier recours de Bruxelles après de nombreux avertissements. La directive qui fixe les normes non respectées par la France et les autres pays date de 2008. La Commission a déjà lancé six mises en demeure entre 2009 et 2017.

«La France ne peut plus tergiverser»

«La France est mise face à ses responsabilités», déclare Lorelei Limousin, responsable des politiques climat - transports pour l'association Réseau Action Climat. «A présent, nous attendons de voir ce que contiendra la future loi d'orientation sur les mobilités.» Le projet de loi est actuellement en arbitrages et sera présenté en Conseil des ministres courant juin. «Le fait que cette décision intervienne pendant les arbitrages envoie un signal fort», se félicite Sarah Fayolle, chargée de campagne climat pour Greenpeace. La France ne peut plus tergiverser, et ne peut pas présenter un projet de loi a minima. Elle doit accompagner les collectivités concernées par les dépassements des taux de pollution.»

«C'était un engagement de campagne d'Emmanuel Macron de résoudre le problème de pollution de l'air. Pour l'instant, les signaux que l'on voit, ce sont des autorisations de nouveaux projets routiers, comme à Strasbourg, souligne Lorelei Limousin. Il faut passer d'un système de pollueur payé à pollueur payeur ! Et mettre les bouchées doubles en matière de transports alternatifs.»

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Avec ce renvoi devant la Cour de justice européenne, la France s'expose à des sanctions financières, qui peuvent s'élever à 11 millions d'euros, et 240 000 euros par jour, tant que les normes de qualité de l'air ne sont pas respectées. «Si cette procédure arrive jusqu'à des amendes, les gouvernements devront choisir entre payer ces amendes ou investir dans la qualité de l'air», explique Anton Lazarus, du Bureau européen de l'environnement, une ONG installée à Bruxelles. En effet, la procédure est longue, ce qui laisse le temps aux Etats de rectifier le tir.

La Cour de justice doit maintenant prononcer un arrêt en manquement, qui sera exécuté par la Commission. Si la France et les autres pays ne respectent pas cet arrêt, la Cour de justice est à nouveau saisie. En février, la Pologne avait été condamnée par la CJUE. C’était le deuxième pays à être condamné après la Bulgarie en avril 2017. Aucun des deux n’a eu à payer d’amendes pour le moment.

«Permis de polluer»

Ironie du calendrier, alors même que la Commission annonçait cette décision, les villes de Paris, Madrid et Bruxelles avaient jeudi une audience à la CJUE, car elles poursuivent la Commission européenne. Elles lui reprochent d'avoir donné un «permis de polluer» aux constructeurs automobiles, avec le règlement établi en 2016 sur les émissions des véhicules, dont elles demandent l'annulation. Les juges de la CJUE n'ont pas rendu de décision jeudi, choisissant de la repousser.

En 2007, l’Europe avait fixé à 80 mg/km la limite des émissions d’oxyde d’azote. Le «dieselgate» a depuis révélé que les véhicules diesel émettaient en réalité des taux bien plus élevés. En 2016, la Commission adopte donc un nouveau règlement pour obliger les constructeurs à respecter les normes. Mais elle inclut une adaptation progressive : à partir de septembre 2017, les émissions peuvent dépasser la limite de 110%, et à partir de janvier 2020, de 50%. C’est cela que dénoncent les trois capitales.

«Ce n'est pas tellement la faute de la Commission mais surtout des Etats membres, explique Julia Poliscanova, de l'ONG Transport et Environnement. Ce sont eux qui ont fait passer les amendements qui ont rendu le texte de la Commission laxiste. C'est un échec de notre système judiciaire de ne pas pouvoir poursuivre les vrais responsables.»

«La première échéance du règlement est entrée en vigueur en septembre 2017, donc c'est trop tard, pointe-t-elle. Mais pour la seconde, on peut encore faire quelque chose. La Commission a adopté début mai une proposition pour réduire la marge de tolérance de 50 à 43%, et a promis d'étudier à nouveau la question l'année prochaine.»

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