Environnement

Pollution de l'air : pour la justice, l'Etat en partie responsable mais pas coupable

Le jugement rendu ce mardi par le tribunal administratif de Montreuil ne reconnaît que très partiellement la faute de l'Etat dans la mauvaise gestion de la pollution de l'air, contrairement à ce que revendique l'association à l'origine de l'affaire.
par Aude Massiot et Augustine Passilly
publié le 25 juin 2019 à 18h39

Une mère de 52 ans a attaqué l'Etat, en son nom et en celui de sa fille de 16 ans, pour «carence fautive» dans la lutte contre la pollution de l'air entre 2012 et 2016. Les deux plaignantes, représentées par l'avocat François Lafforgue, ont été contraintes, sur prescription médicale, de déménager de Saint-Ouen à Orléans pour mettre fin à leurs problèmes respiratoires - bronchites pour la première, crises d'asthme pour la seconde. Elles souhaitaient une indemnisation de 160 000 euros et que l'incapacité de l'Etat à améliorer la qualité de l'air soit reconnue.

«La requête de Mme Farida T. est rejetée», a tranché mardi le tribunal administratif de Montreuil. La juge Mehl-Schouder a renvoyé les unes après les autres toutes les requêtes des plaignantes. D'après le jugement, les maladies de Farida et de sa fille ne «trouvent pas directement leur cause dans l'insuffisance des mesures prises par l'Etat». Leur demande d'indemnisation est donc balayée.

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Quant à la responsabilité des services de l'Etat, la juge la rejette avec un ton presque cassant à l'encontre de la requérante: «Mme T., qui se borne à alléguer que la persistance de l'épisode de pollution démontre un contrôle insuffisant des prescriptions fixées par le préfet, n'établit pas que les moyens consacrés à cette opération auraient été insuffisants.» Le juge souligne même l'importance des moyens déployés par la préfecture: «Le nombre d'agents affectés au contrôle des véhicules par la préfecture de police a doublé lors des six journées de mise en place de la circulation alternée.» Et d'ajouter: «Dès lors que la circulation alternée a été mise en place à deux reprises, dès que le caractère prolongé de l'épisode de pollution a été constaté, Mme T. n'est pas fondée à invoquer une carence fautive du préfet de police.»

Contradiction

Dans la même lancée, le tribunal conclut que Farida ne peut «soutenir que l'Etat, du seul fait du dépassement des valeurs limites constaté entre 2012 et 2016 et de l'insuffisance des plans pour y mettre fin dans cette même période, aurait porté atteinte à son droit à la vie ou au respect de sa vie privée et familiale».

Une seule demande a été acceptée: «La responsabilité de l'Etat n'est engagée qu'en ce qui concerne l'insuffisance du plan relatif à la qualité de l'air pour l'Ile-de-France adopté le 7 juillet 2006 et révisé le 24 mars 2013 et de ses conditions de mise en œuvre.» Car ce plan une fois élaboré par la région, doit être validé par la préfecture, et donc par l'Etat.

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L'ONG Ecologie sans frontières, à l'origine de l'affaire, s'est tout de même félicitée de ce qu'elle considère comme «un jugement historique».

«Le tribunal ne conclut pas à une carence fautive de l'Etat, souligne Arnaud Gossement, avocat spécialiste en droit de l'environnement. Le dire serait confondre un aspect du raisonnement du juge avec sa conclusion. Le jugement ne reconnaît qu'une insuffisance du plan régional de protection de la qualité de l'air. Or le Conseil d'Etat avait déjà reconnu une telle insuffisance lors d'un arrêt du 12 juillet 2017. Ce jugement, au contraire, est une régression. Le tribunal administratif de Montreuil se montre sévère.»

La France déjà critiquée

Pour François Lafforgue, en revanche, ce jugement est bien «une avancée». «Dans la décision de 2017, le Conseil d'Etat a considéré que l'Etat était titulaire d'une obligation d'adopter des plans relatifs à la qualité de l'air ayant pour objet de définir les mesures appropriées pour ramener les concentrations en particules fines et en dioxyde d'azote à l'intérieur des valeurs limites, en vertu de la directive 2008/05», explique l'avocat chargé de la défense des plaignantes. Pour lui, «dans le présent recours, l'Etat peut être tenu pour responsable, au moins en partie, des déboires médicaux des requérants à la suite de leur exposition à la pollution de l'air, sous réserve d'une consolidation des éléments médicaux versés au dossier, parce qu'il a failli à cette obligation de prendre des mesures de nature à permettre le respect des valeurs limites.» L'avocat doit encore décider avec sa cliente s'ils feront appel.

Ce n'est pas la première fois que l'Hexagone est pointé du doigt pour ses défaillances dans la lutte contre la pollution de l'air. En mai 2018, la Commission européenne a attaqué en justice la France, ainsi que l'Allemagne et le Royaume-Uni ,pour avoir dépassé les valeurs limites de dioxyde d'azote (NO2) fixées dans l'UE.

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Sur d'autres dossiers, l'Etat a déjà été condamné pour carence fautive. En 1993, le Conseil d'Etat l'avait prononcé dans l'affaire du sang contaminé, reconnaissant la responsabilité du gouvernement dans l'infection d'une centaine de malades par le sida et l'hépatite C. Onze ans plus tard, le même jugement est rendu, toujours par le Conseil d'Etat, contre l'absence de mesures, avant 1977, pour limiter les risques de l'amiante alors que son caractère cancérigène est établi depuis les années 1950. Malgré tout, d'après l'avocat Arnaud Gossement, aucune «carence fautive» n'a jamais été prononcée sur des questions de pollution d'ampleur nationale : «Elle a seulement été reconnue dans des dossiers locaux, par exemple lorsque les dysfonctionnements d'une usine entraînent une pollution excessive.»

D’autres décisions sur des affaires portées par des victimes présumées de la pollution de l’air sont attendues dans les prochaines semaines.

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