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Vie de bureau

Les salariés français sont parmi les plus désengagés d'Europe au travail

EXCLUSIF Les salariés français seraient parmi les plus désengagés d'Europe au travail, selon les derniers chiffres de l'institut de sondage Gallup, dont Challenges a eu accès en avant-première. Comment expliquer cette tendance?

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FRANCE: 2017, UNE ANNÉE RECORD POUR LE CAPITAL INVESTISSEMENT

Les Français seraient 20% à s’estimer franchement désengagés.

Charles Platiau

Manque de reconnaissance, intensification du rythme de travail, moyens limités, culture managériale trop rigide… Les salariés français auraient-ils sombré en plein blues? Les résultats du dernier sondage* de l'institut de sondage américain et cabinet de conseil Gallup sur l’engagement des Français au travail, auxquels Challenges a eu accès en exclusivité sont en tout cas effarants. Seuls 6% des salariés sondés en février-mars 2018 s’affirment engagés au travail, c'est-à-dire très impliqués à la tâche et enthousiasmés par leurs missions professionnelles, selon la définition de Gallup. Pire, un Français sur cinq s’estime franchement désengagé - c'est-à-dire malheureux au travail- et exprime activement son mécontentement. Soit l’un des pires scores d’Europe de l’Ouest. La France se situe ainsi à l’avant-dernier rang du classement des travailleurs européens les plus engagés, au même niveau que l’Espagne, et juste devant l’Italie (5%) -la moyenne européenne s'établissant autour de 10%, selon le dernier rapport mondial complet de Gallup sur la question, intitulé State of the Global Workplace, et datant de fin 2017. Très loin par exemple des Etats-Unis et de leurs 33% de salariés très impliqués.

Engagement de salariés en Europe de l'Ouest selon le dernier rapport mondial de Gallup (décembre 2017).

Pour établir ces scores, Gallup s’est reposé sur douze questions mesurant le niveau d’engagement des salariés, pour les classer ensuite en trois catégories: «engagés» (très enthousiasmés par son job), «non engagés» (détachés de son travail et de son entreprise), «désengagés» (très irrité par son environnement de travail). L’institut de sondages a ainsi interrogé chacun des sondés sur ses besoins professionnels fondamentaux (outils à disposition, missions claires), ses aspirations personnelles (reconnaissance, écoute), le climat de son équipe (amitiés, implication des collègues) et ses désirs d’accompagnement (formation, soutien du manager). Autrement dit, sur un grand nombre de facteurs influant directement sur les conditions de travail et la qualité de vie au bureau. «Nous avons établi un lien clair entre ces critères et le niveau d’engagement, qui se traduit par une productivité individuelle plus ou moins accrue», affirme Laragh Marchand, partner chez Gallup, qui accompagne aussi les entreprises dans leurs politiques RH.

Une question de culture

En la matière, force est de constater que les Français sont de moins en moins satisfaits de leur emploi. Selon l'un des précédents rapports mondiaux de Gallup datant de 2015, 9% étaient jugés "engagés", soit trois points de plus qu'aujourd’hui. Comment expliquer une telle dégradation? «C'est un paradoxe car s'ils se montrent de plus en plus désengagés, nombre d'études prouvent que les Français se classent aussi parmi les plus productifs d'Europe, reconnaît Laragh Marchand. Vous avez des personnes démobilisées dans toutes les entreprises et la part d’engagés est en moyenne toujours assez faible comparée à celle des «non engagés» et des «désengagés», tempère-t-elle. Le risque de contagion et de démotivation à plus grande échelle devient néanmoins réel lorsque sur 100 salariés, seulement 6 s’impliquent et 20 autres se désinvestissent activement», souligne Laragh Marchand qui pointe une certaine exception française en la matière. Cette tendance s'expliquerait selon elle par une culture du dialogue social historiquement très conflictuelle, des pratiques RH trop top-down ou encore un recrutement des managers «davantage axé sur les compétences techniques que relationnelles».

Pour Pierre-Yves Senséau, professeur en gestion des ressources humaines à Grenoble Ecole de Management, cette spécificité française est également avant tout culturelle. «Les notions d’engagement et de dépassement de soi sont très anglo-saxonnes. Aux Etats-Unis ou au Canada, les salariés ont moins d’attentes vis-à-vis de leurs employeurs. Le travail est avant tout perçu comme une activité épanouissante, à la différence de pays comme la France où il est encore associé à une source de coercition.»

Des conditions de travail dégradées?

Une vision que ne partage pas complètement Danièle Linhart, sociologue du travail directrice de recherche émérite au CNRS. D’après elle, ce fort taux de désengagement exprimé par les Français illustre surtout une dégradation des conditions de travail et une souffrance. «Les Français ne sont pas plus désengagés au travail qu'avant, au contraire. Plusieurs études montrent qu’ils consomment de plus en plus de drogues et de médicaments pour suivre le rythme que leurs employeurs leur imposent. Ils se battent pour tenir face à la difficulté de devoir se surpasser, avec moins de moyens et d'autonomie, dans un environnement changeant et dénué de collectif», insiste la sociologue. Danièle Linhart pointe aussi la très forte tendance des Français à s’identifier à leur métier par rapport à leurs voisins: «qui dit forte implication, dit fortes attentes et donc à la clé, des déceptions d’autant plus violentes».

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Le tableau n'est néanmoins pas si noir. Ces chiffres sont déjà à comparer à la tendance mondiale qui n'est pas non plus à la fête. 85% des employés interrogés à travers 155 pays affichent en effet au mieux un détachement pour leur travail, au pire un désengagement notoire. Par ailleurs, si la part des salariés français engagés n'a pas bougé depuis décembre 2017, celle des désengagés a, elle, reculé de cinq points (passant de 25% à 20%) dans ce même labs de temps. Loin des quelque 28% de désengagés enregistrés en 2010. Effet de la reprise économique et/ou de la nouvelle donne post-électorale? «Difficile de trancher pour le moment, avance Laragh Marchand. C'est en tout cas plutôt un bon signe pour les mois à venir.» Du côté des bonnes pratiques à pousser dans les organisations, la partner de Gallup cite notamment l'importance du choix des managers de proximité dans le coaching et la responsabilisation des équipes. Les entreprises auraient en tout cas tort de sous-estimer le phénomène. Turn-over, absentéisme, accidents du travail… Rien que pour la France, le coût du désengagement au travail est estimé, selon Gallup, à 97 milliards d’euros cette année.

*Méthodologie: Les résultats de l'étude sont basés sur une série d’entretiens téléphoniques conduits entre février et mars 2018 sur des échantillons représentatifs et aléatoires de 1.000 employés adultes (+18 ans) en France. Les entretiens ont été conduits par téléphone fixe ou mobile. Les échantillons sont pondérés par âge, sexe, statut de l’emploi, région géographique. La pondération démographique des données est faite par rapport aux dernières statistiques nationales publiées par chaque pays.

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