Manifestations dépressives à l'adolescence : repérage, diagnostic et prise en charge en soins de premier recours

Recommandation de bonne pratique - Mis en ligne le 15 déc. 2014

Les objectifs principaux de cette recommandation de bonne pratique (RBP) :

  • repérer plus précocement la dépression de l’adolescent ;
  • améliorer l’accompagnement du patient et de son entourage ;
  • améliorer la prise en charge et l’orientation initiale des patients ;
  • prévenir la crise suicidaire.

Le champ de cette RBP concerne essentiellement les soins primaires, et en particulier le rôle du médecin généraliste.

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Spécificités de la prise en charge de l'adolescent

Caractéristiques psychologiques de l’adolescent

L’adolescence est une période de transition marquée par de multiples transformations. Les équilibres sont fragiles concernant le rapport au corps, la construction de l’autonomie et de la subjectivité, ainsi que la socialisation.

Il s’agit de la classe d’âge qui a le moins recours aux soins lors de difficultés psychiques.

Encadré 1 - Caractéristiques psychologiques de l’adolescent

  • Aucun symptôme n’est spécifique de l’EDC.
  • Les symptômes d’appel sont multiples et appartiennent à différents registres (internalisés ou externalisés) (cf. tableau 2).
  • L’adulte peut être vécu comme intrusif ou menaçant son autonomie.
  • L’adolescent ne donne pas spontanément sa confiance. Celle-ci est à construire et elle est une condition nécessaire mais non suffisante pour la confidence.
  • Les symptômes s’expriment dans différents lieux (famille, scolarité, etc.) et leur expression dépend de l’environnement (culturel, familial, relationnel).
  • Le monde interne de l’adolescent (capacité de mentalisation, vécu intrapsychique) évolue. Aussi le recours aux comportements agis (plutôt que mentalisés) est plus fréquent que chez l’adulte.
  • La plainte est souvent à interpréter au-delà du motif évoqué.

 Spécificités de la consultation de l’adolescent

AE

Lors des consultations, il est recommandé d’impliquer l’adolescent et sa famille pour explorer la symptomatologie.

 

AE

Il est recommandé de garder une approche empathique, soutenante et collaborative centrée sur l’adolescent. L’adolescent doit être considéré comme un individu singulier, capable de participer autant que possible au processus de prise de décision. Il ne doit pas être réduit au seul point de vue de sa symptomatologie.

 

AE

Il est recommandé, lors de toute consultation d’un adolescent, de distinguer quatre phases à adapter en fonction de la situation :

  • phase 1 : adolescent en présence des parents ;

Il est recommandé d’impliquer la famille pour explorer les comportements symptomatiques qu’elle a repérés, l’histoire du sujet et la dynamique familiale.

  • phase 2 : adolescent seul ;

Il est recommandé, quel que soit le motif initial de la consultation, de s’entretenir avec l’adolescent sans la présence des parents. Cette phase de la consultation a pour but de lui donner de manière systématique une possibilité d’éclaircir certains points, révéler sa souffrance interne, aborder sa vie relationnelle et affective ainsi que ses conduites à risque.

  • phase 3 : examen somatique ;

Il est recommandé de réaliser l’examen somatique de l’adolescent sans la présence des parents et avec leur accord. Cet examen somatique indispensable peut être reporté lors d’une autre consultation en cas de problématique d’emblée psychique.

  • phase 4 : restitution à l’adolescent et à sa famille.

Il est recommandé de faire une restitution avec tact des éléments recueillis et des ressentis, puis de définir avec l’adolescent et sa famille des objectifs thérapeutiques et une stratégie de soins claire et compréhensible adaptée à l’âge développemental et aux circonstances. La stratégie peut se limiter dans un premier temps à poursuivre l’éclaircissement de la problématique et à construire l’alliance thérapeutique.

Contexte et entourage de l’adolescent

Les symptômes doivent être mis dans le contexte actuel (synchronique) et historique du sujet (diachronique) pour être mieux appréhendés.

L’évaluation des symptômes et le choix de la prise en charge doivent notamment tenir compte :

  • du contexte familial, scolaire, culturel, social (recueillir parfois le point de vue de personnes intervenant auprès de l’adolescent : travailleur social, acteurs scolaires, etc.) ;
  • des particularités développementales du patient et de son fonctionnement (cognitif, affectif, relationnel, scolaire) ;
  • de la qualité de la relation thérapeutique.

AE

Concernant la place de l’entourage, il est recommandé :

  • d’aborder clairement la question de la confidentialité, de définir la place de la famille, et de prévenir l’adolescent si un autre intervenant doit être contacté ;
  • de discuter avec l’adolescent des informations à transmettre et d’obtenir son accord ; les parents doivent être informés des éléments indispensables à leur prise de décision (par ex. risque suicidaire) ;
  • d’associer la famille de manière adaptée à l’âge développemental de l’adolescent et à la dynamique relationnelle intrafamiliale, et de contacter si nécessaire les autres adultes concernés.

 

Cette stratégie globale d’évaluation doit toujours être entreprise quelle que soit l’intensité des manifestations dépressives, et notamment dans le cas d’un EDC.

 

Repérage

 

Facteurs de risque et protecteurs

►  Facteurs de risque

AE

Il est recommandé d’être attentif aux facteurs de risque individuels et environnementaux de la dépression et du suicide.

 

Ces facteurs de risque ne sont spécifiques ni à la dépression ni au suicide, et la majorité des suicides ou tentatives de suicide ne sont pas secondaires à une dépression caractérisée (cf. tableau 1).

Tableau 1. Facteurs de risque individuels et environnementaux de la dépression et du suicide

Individuels

  • Antécédents de souffrance néonatale, de pathologie somatique de la naissance et de la petite enfance
  • Antécédents ou existence d’une maladie chronique ou handicapante
  • Antécédents de trouble psychiatrique, notamment de symptômes dépressifs, d’EDC, de risque suicidaire (idéation suicidaire, tentative de suicide, scarification), de troubles des conduites alimentaires et plus largement l’ensemble des troubles internalisés (dont les cognitions négatives) et des troubles externalisés (dont les fugues, les conduites à risque, la consommation à risque de substances psychoactives, les transgressions et la déscolarisation)
  • Antécédent traumatique : état de stress post-traumatique, agression physique ou sexuelle, violences communautaires, et être témoin de violence
  • Orientation sexuelle non hétérosexuelle (dans certains contextes, notamment en cas de discrimination)
  • Puberté précoce
  • Sexualité à risque (rapport précoce, non protégé, répété, partenaires multiples) et grossesse à l’adolescence

Environnementaux

  • Mauvaises relations familiales (séparation répétée, placements itératifs, négligence, maltraitance, rejet, manque de soutien, indisponibilité) et conflit intrafamilial
  • Mauvaises relations sociales (victime ou acteur de harcèlement, etc.)
  • Événement négatif : agression, mort d’un proche, perte interpersonnelle, conflit, séparation parentale, déménagement
  • Toute psychopathologie parentale, notamment consommation à risque de substances psychoactives et dépression maternelle

 Pour le suicide seulement

  • Couverture médiatique d’un suicide
  • Arme à feu au domicile (surtout si elle est chargée, rangée avec les munitions et accessible)

 

Les adolescents vivant en foyer, déracinés, ayant affaire au système judiciaire et/ou ayant été victimes de maltraitance sont considérés comme à « très haut risque » de dépression ou de suicide, surtout lorsqu’ils n’ont pas pu s’étayer sur des adultes ressources.

►  Facteurs protecteurs

Il existe des facteurs protecteurs de la dépression, tels que :

  • une bonne estime de soi ;
  • des styles cognitifs positifs (confiance dans ses capacités d’adaptation, optimisme, activités créatives, perception des situations comme résolvables, etc.) ;
  • la qualité du soutien familial ;
  • la capacité à utiliser le soutien amical et les adultes ressources ;
  • la pratique sportive récréative.

 

Signes de dépression ou de risque suicidaire

►  Signes évocateurs de dépression

Les symptômes de manifestations dépressives sont regroupés dans le tableau 2 qui oppose les manifestations de nature dépressive observables chez tout adolescent et les symptômes caractéristiques d’un syndrome dépressif.

L’adolescent n’exprime pas directement et spontanément ses ressentis, mais les présente plutôt indirectement à travers son comportement ou des somatisations. En revanche, il les reconnaît assez facilement si un adulte médiateur s’intéresse à lui (cf. chapitre 1).

Ainsi, la dépression caractérisée passe souvent inaperçue à l’adolescence du fait :

  • d’une confusion entre l’EDC et la crise d’adolescence normale avec sa part de « dépressivité » et de conduites agies ;
  • d’une expression symptomatique souvent trompeuse ;
  • de l’irritabilité et de l’agitation qui favorisent des contre-attitudes hostiles plutôt qu’empathiques ;
  • du caractère fluctuant des symptômes ;
  • de la réactivité de l’humeur ;
  • de la persistance de certains domaines fonctionnels (activité ou relation).

AE

Il est recommandé de rechercher des manifestations dépressives en questionnant l’adolescent et en l’aidant à exprimer ses ressentis.

 

AE

Il est recommandé de rechercher un épisode dépressif caractérisé sous-jacent et de prévoir avec l’adolescent une prochaine consultation dont le délai sera adapté à la gravité des symptômes (cf. chapitre 3).

 

Tableau 2. Manifestations dépressives dans le contexte de l’adolescence ou d’un syndrome dépressif à l’adolescence

Adolescence

Syndrome dépressif à l’adolescence

Manifestations émotionnelles internalisées

Peut manifester de la tristesse, une crainte, de l’angoisse, de l’ennui, de la morosité, être au bord des larmes, irritable ou révolté mais ces manifestations ne sont pas envahissantes, ne marquent pas une rupture (pas de retentissement sur les investissements). Elles sont transitoires et adaptées aux circonstances.

 

Humeur dépressive ou irritable envahissante et durable (tous les jours, presque toute la journée et pendant au moins 2 semaines et en rupture avec l’état antérieur) :

  • tristesse, abattement ou découragement envahissant, pleurs fréquents, labilité de l’humeur : se dit « triste » ou « morose » ;
  • et/ou angoisse envahissante et/ou majoration d’une symptomatologie anxieuse préexistante ;
  • et/ou se montre grincheux, revendicateur, coléreux, hostile, agressif, blâme les autres, est hyperréactif à la frustration (à ne pas confondre avec une simple intolérance à la frustration d’origine éducative) ou hypersensible au rejet : se dit les nerfs « à fleur de peau » ;
  • parfois l’humeur dépressive peut rester « réactive » : l’adolescent peut présenter une amélioration transitoire de son humeur dépressive face à certains événements positifs (compliment, relation) ;

Et/ou perte de plaisir partielle ou totale (anhédonie), indifférence affective, ennui persistant, perte de motivation, d’intérêt, d’entrain, dans les activités (sport, jeux) et les relations.

Manifestations cognitives internalisées

Changement de regard sur soi ; apprentissage progressif de sa propre valeur amenant à vivre des sentiments transitoires de dévalorisation, de pessimisme ou de honte ; attitudes transitoires de dénigrement ou d’hypersensibilité

 

Timidité ou doute non envahissants

Idées envahissantes de dévalorisation, d’impuissance, de désespoir, de culpabilité, d’indignité :

  • ne peut pas dire ses qualités, se dit « méchant » ou qu’il « mérite d’être puni » ;
  • sentiment de ne pas être aimé et/ou d’être rejeté avec retrait ou quête d’affection ou hyperinvestissement de certaines relations.

 

Indécision pathologique

 

Questionnement sur le sens de la vie ou la mort en général, sur le sens de ses propres choix voire pensées sur sa mort

Idées de mort récurrentes (désir de mort passive : « la vie ne vaut pas la peine d’être vécue », « la mort me soulagerait»), idées suicidaires récurrentes (désir de se donner la mort : « je veux me faire du mal ») voire intention suicidaire (projet) ou tentative de suicide

Présente parfois des complexes physiques non envahissants et/ou des croyances atypiques en lien avec la culture familiale

Idées dysmorphophobiques envahissantes, délires et hallucinations

 

Manifestations psychomotrices, physiques et instinctuelles

Peut manifester un ennui, un état de désœuvrement et de lassitude, fatigue, etc., voire d’inhibition

 

 

Mais aussi agitation, agressivité, prises de risque et passages à l’acte

Ralentissement psychomoteur envahissant et durable :

  • baisse d’activité, apathie et/ou asthénie fluctuantes selon les activités, donnant une apparence de paresse sélective ;
  • troubles de la concentration, ralentissement de la pensée.

Et/ou agitation psychomotrice envahissante :

  • impossibilité à rester assis, déambulation, tortillement des mains, manipulations, menaces ou tentatives de fugue.

Peut se plaindre de douleurs abdominales, céphalées, malaise

Plaintes somatiques :

  • céphalées fréquentes, douleurs abdominales récurrentes, sensation de malaise et malaises à répétition.

« Restrictions alimentaires » temporaires

Conduites alimentaires particulières :

  • anorexie, hyperphagie ou boulimie ; fluctuation pondérale (> 5 % en 1 mois).

Réduction du temps de sommeil intermittente (horaire décalé du coucher), notamment du fait de l’utilisation d’Internet ou de la télévision

Trouble du sommeil durable :

  • insomnie d’endormissement (rechercher si regarde la télévision tard) ;
  • réveil nocturne ou précoce (rechercher si joue sur Internet la nuit) ;
  • hypersomnie (rechercher si refuse de se lever le matin).

Manifestations externalisées sur l'environnement

Pas de changement dans le fonctionnement malgré quelques attitudes critiques :

  • opposition transitoire ;
  • comportements initiatiques (ivresse, conduite à vive allure, etc.).

Modifications du fonctionnement scolaire et relationnel :

  • désinvestissement scolaire (chute des notes, décrochage scolaire voire absentéisme) ;
  • hyperinvestissement d’activités (Internet, réseaux sociaux, jeux vidéo en ligne, sport, scolarité) ;
  • besoin d’un effort supplémentaire pour arriver à des performances identiques ;
  • arrêt des activités de loisir ;
  • isolement (repli sur soi ou sur certaines activités isolées comme les jeux vidéo) et évitement des relations voire comportements négatifs ou d’opposition lorsqu’on les sollicite ;
  • comportements à risque important en rupture avec le fonctionnement de l’adolescent : ivresses pathologiques, comportement sexuel à risque, fugues, etc.

 

►  Signes d’alerte suicidaire

AE

Il est recommandé de rechercher les signes d’alerte suicidaire qui se distinguent parmi les facteurs de risque de dépression et de suicide (cf. tableau 3).

 

 Tableau 3. Signes d’alerte suicidaire

Signes de crise suicidaire

Intentionnalité suicidaire

  • Antécédent suicidaire personnel ou dans l’entourage*
  • Communication directe ou indirecte d’une idéation suicidaire**

Autre signe transnosographique de crise suicidaire

  • Désespoir, sentiment d’impasse, d’avenir bouché, de perte du sens de la vie, de culpabilité, de dénégation de soi
  • Retrait avec désinvestissement des liens (amis, famille, société) voire syndrome présuicidaire de Ringel (calme apparent et retrait masquant le repli dans le fantasme suicidaire)
  • Anxiété, agitation, instabilité comportementale, hyperactivité motrice présuicidaire, incapacité à dormir ou hypersomnie, cauchemars
  • Colère, rage incontrôlée ou sentiment de revanche, prise de risque incontrôlée (non calculée) et labilité importante de l’humeur
  • Altération de la conscience de soi

Pathologie psychiatrique actuelle

  • Dépression caractérisée
  • Conduite d’alcoolisation aiguë, consommation à risque de substances psychoactives
  • Impulsivité, trouble des conduites, prise de risque incontrôlée

Contexte relationnel favorisant les sentiments de perte, d’injustice, de rejet, d’humiliation

  • Problèmes sentimentaux (séparation)
  • Situations d’exclusion (familiale, scolaire, institutionnelle, amicale)
  • Situations de tensions chroniques dans la famille : problème disciplinaire, absence de soutien relationnel, entourage violent, maltraitance actuelle ou passée et en particulier abus sexuels 

* Certains facteurs signent la gravité de la tentative de suicide : préméditation, dissimulation du geste, absence de facteur déclenchant explicatif, moyen ou scénario à fort potentiel létal, moyen toujours à disposition.

** Il existe un degré de gravité croissant entre les idées de mort, l’idéation suicidaire, l’intention suicidaire et la préparation du geste suicidaire.

Outils d’aide au repérage et à l’évaluation

AE

Les outils suivants peuvent être utiles pour aider au repérage individuel ou soutenir la relation thérapeutique (cf. annexe 5) :

  • le questionnaire ADRS, test le mieux validé pour aider à la détection d’un EDC ;
  • le questionnaire TSTS-CAFARD, test le mieux validé pour approcher la problématique suicidaire (idée ou acte).

 

D’autres outils peuvent être utiles, comme :

  • le questionnaire HEADSS, pour l’exploration de l’ensemble des risques psychosociaux chez l’adolescent, dont la dépression et le suicide ;
  • le questionnaire CES-D, adapté en deux versions selon que l’adolescent présente ou non une déficience intellectuelle.

 

 

Diagnostic et stratégie de soins

Diagnostic

►  Confirmation diagnostique

 Le diagnostic d’un EDC est clinique et repose sur l’association de :

  • symptômes : troubles de l’humeur, du cours de la pensée, troubles physiques et instinctuels, cognitions négatives et idéations suicidaires ;
  • une souffrance cliniquement significative ;
  • un retentissement sur le fonctionnement.

Les symptômes doivent durer au moins 15 jours et être au minimum au nombre de cinq, comprenant un des deux symptômes cardinaux : humeur dépressive (ou irritable) ou perte d’intérêt (ou de plaisir).

Le diagnostic d’EDC est défini par la CIM-10 (cf. annexe 3) et le DSM-5 (cf. annexe 4).

Il est nécessaire d’apprécier :

  • son intensité : légère, modérée, sévère ;
  • ses caractéristiques symptomatiques : mélancolique, atypique, anxieuse, mixte, psychotique.

AE

Une évaluation de l’épisode et plus globalement de la psychopathologie est recommandée pour orienter la stratégie de prise en charge, portant sur :

  • le risque suicidaire ;
  • le retentissement physique, psychologique et social ;
  • les comorbidités ;
  • l’aspect psychodynamique (fonctionnement mental) ;
  • les facteurs de vulnérabilité et de résilience, notamment la qualité de l'environnement à travers les relations familiales et avec les pairs.

 

►  Diagnostic différentiel

AE

Il est recommandé de distinguer la « dépressivité » normale qui ne remplit pas les critères d’un EDC (cf. annexe 1). Cependant, le risque de développer un EDC est augmenté si les facteurs d’adversité s’accumulent.

 

AE

Par ailleurs, il est recommandé de faire un diagnostic différentiel de l’EDC vis-à-vis de certaines pathologies complexes comprenant des manifestations dépressives ou des perturbations liées à :

  • une consommation à risque de substances psychoactives ;
  • une affection médicale générale ;
  • un épisode mixte ou un trouble bipolaire ;
  • un trouble dépressif persistant ;
  • un trouble de l’adaptation dépressif ou anxio-dépressif et autres troubles psychiatriques.

 

Objectifs de soins

AE

 

Les objectifs de soins se définissent à deux niveaux :

  • urgence et à court terme :
    • traiter la crise suicidaire, éclaircir la situation, contenir, protéger,
    • prévenir le risque suicidaire,
    • diminuer la symptomatologie dépressive (réponse) et préparer la rémission,
    • améliorer le fonctionnement relationnel et éviter la rupture scolaire ;
  • à moyen et long terme :
    • favoriser la reprise développementale, lutter contre les vulnérabilités et favoriser la résilience à l’âge adulte,
    • consolider la réponse, limiter les rechutes et les récidives,
    • améliorer le fonctionnement psychique, comportemental et relationnel,
    • mettre en place la prévention secondaire : consolider le développement et favoriser les investissements positifs.

La dépression de l’adolescent est souvent en rapport avec une perte de liens. Il est recommandé d’aider l’adolescent à :

  • donner du sens à ses symptômes ;
  • restaurer les liens avec ses proches et son environnement ;
  • s’intégrer, si nécessaire, dans un parcours de soins avec les autres professionnels de santé.

Le temps passé à l’établissement de ces liens est constitutif des soins.

 

Orientation vers un (pédo)psychiatre

AE

L’orientation de l’adolescent vers un (pédo)psychiatre est recommandée en présence d’au moins un des critères suivants :

  • un diagnostic clair de gravité ou de complexité lié à :
    • l’intensité et aux caractéristiques de la dépression (dépression récurrente, résistante, atypique, psychotique),
    • une intentionnalité suicidaire associée à la dépression,
    • l’association de comorbidités psychiatriques (trouble anxieux, trouble de la personnalité, anamnèse évoquant un trouble bipolaire, des troubles du comportement alimentaire, des conduites à risque et des conduites addictives),
    • l’existence d’une maladie organique décompensée,
    • la complexité (doute sur le diagnostic),
    • la situation (situation familiale difficile, situation de crise, situation ayant une possible incidence médico-légale, etc.) ;
  • des difficultés du professionnel à comprendre ou à prendre en charge :
    • difficultés spécifiques rencontrées dans la relation thérapeutique : manque d’expérience pour prendre en charge la situation, prise en charge difficile dans le cadre de la relation thérapeutique habituelle médecin-malade, nécessité d’une prise en charge bifocale ou plurifocale,
    • demande d’avis diagnostique ou thérapeutique : absence de réponse thérapeutique après 4 à 8 semaines de traitement, sévérité des symptômes, demande de confirmation des choix faits par le médecin de premier recours,
    • choix de cadre thérapeutique non réalisable en soins de premier recours : psychothérapie de longue durée, évaluation psychologique ou neuropsychologique ;
  • une demande formulée par le patient ou son entourage de voir un (pédo)psychiatre.

 

AE

Il est recommandé que la collaboration, et la transition, entre médecin de premier recours et (pédo)psychiatre soit bien coordonnée.

Décision d’hospitalisation

AE

Il est recommandé d’envisager une hospitalisation soit d’emblée, soit au cours de l’évolution, lorsqu’il existe :

  • un risque important de passage à l’acte auto ou hétéro-agressif ;
  • une forme sévère, notamment avec symptômes psychotiques ou un retentissement fonctionnel et/ou somatique important ;
  • l’impossibilité de mettre en place un suivi ambulatoire suffisamment structuré et soutenant ;
  • un contexte sociofamilial défavorable, notamment :
    • en cas d’environnement délétère (maltraitance, abus sexuel) dont il convient de protéger le patient,
    • en cas de dégradation des relations secondaire au trouble dépressif justifiant un temps de retrait pour amorcer les soins,
    • lorsque le cadre de vie de l’adolescent ne permet pas un accompagnement suffisant pour les soins.

Parfois, un changement du cadre de vie avec poursuite des soins en ambulatoire peut être préférable à l’hospitalisation.

 

AE

Si une hospitalisation est envisagée en dehors de l’urgence, une évaluation préalable par un (pédo)psychiatre est recommandée avec :

  • une définition des objectifs et une explication des conditions (règles du service, durée probable, présentation de l’équipe, visite du service, etc.) ;
  • une préparation à la séparation entre l’adolescent et sa famille.

 

AE

Il est recommandé que le médecin de premier recours reste impliqué pendant et après cette hospitalisation (courriers, échanges téléphoniques, etc.).

 

AE

Il est recommandé que cette hospitalisation se situe dans un lieu adapté, avec la présence d’un (pédo)psychiatre, et où les professionnels sont formés et habitués à recevoir ce type de population. Selon l’histoire et les possibilités locales, cela pourra être un service de pédiatrie, de médecine, de psychiatrie adulte ou de psychiatrie infanto-juvénile.

 

Cas du refus de soins

AE

En cas de refus de soins ou d’interruption prématurée des soins par le patient, il est recommandé de qualifier le refus dans le dossier du patient.

 

Face à un refus de soins émanant de l’adolescent, le médecin doit garder à l’esprit qu’il est normal à cet âge de manifester une difficulté à formuler une demande de soins. Il n’est pas rare que les soins soient mis en place malgré des protestations plus ou moins énergiques de l’adolescent. La demande de soins devra alors être portée par les parents, les responsables éducatifs et le thérapeute. Des adaptations du cadre et des offres diversifiées devront être proposées afin de rendre faisable et tolérable par l’adolescent ce dont il a besoin. Parfois, les soins peuvent commencer avec les parents sans la présence de l’adolescent. La mobilisation de l’entourage peut alors être utile pour proposer des alternatives et surveiller l’évolution de la situation.

Les cas où les soins sont réellement imposés à l’adolescent et/ou à sa famille doivent rester l’exception.

Le cas de l’hospitalisation des mineurs est particulier puisque les principes de l’autorité parentale permettent aux parents d’hospitaliser l’enfant contre son gré et de décider de sa sortie contre l’avis du service.

AE

Face à un refus de soins émanant des détenteurs de l’autorité parentale, le médecin doit être le défenseur de l’enfant lorsqu’il estime que l’intérêt de sa santé est mal compris ou mal préservé par son entourage. Les soins, notamment l’hospitalisation, peuvent être imposés aux détenteurs de l’autorité parentale, par une ordonnance de placement provisoire (CC art. 375.9), sur décision judiciaire, après avis circonstancié d’un médecin, pour une durée maximale de 15 jours.

 

Cette durée pourra être prolongée par le juge des enfants, pour une durée de 1 mois renouvelable, si elle repose sur un avis médical conforme. Dans le cas d’un mineur en danger, notamment de maltraitance intrafamiliale, les actes de protection, réalisés avec prudence et circonspection, priment sur le maintien de l’alliance thérapeutique avec la famille.

Dans le cadre d’une mesure de protection d’un mineur en danger, le juge a la possibilité de se substituer aux parents pour demander des soins pour un enfant lorsqu’ils lui paraissent indiqués et que les parents s’y refusent (art. 379 CC). Il doit auparavant avoir tenté de convaincre les parents.

Le Code pénal prévoit des soins pénalement obligés (injonction thérapeutique, etc.). Dans ce cas, les soins ne peuvent être mis en place contre la volonté du sujet, mais celui-ci pourra faire l’objet de poursuites s’il ne se soumet pas à cette obligation.

 

Suivi et prise en charge thérapeutique

AE

Il est recommandé d’assurer un maximum de continuité entre les personnes impliquées dans le repérage, le diagnostic et la prise en charge thérapeutique.

Lorsqu’on repère une situation à risque, une attitude favorisant le soutien et l’empathie participe à la mobilisation de facteurs de résilience. La transmission d’un souci de soins et de ses propres représentations sur les soins participe à la mobilisation de l’entourage et au processus thérapeutique.

 

Suivi somatique et règles hygiéno-diététiques

AE

Il est recommandé de réaliser un suivi somatique de l’adolescent déprimé, essentiel pour :

  • éliminer un diagnostic différentiel organique ;
  • éliminer une prise de toxique ou une automédication ;
  • surveiller l’apparition d’une éventuelle comorbidité ;
  • en cas de traitement psychotrope, surveiller l’apparition d’un syndrome métabolique ou d’un allongement du QT.

L’examen clinique lors du suivi comprend au moins la mesure de l’indice de masse corporelle (IMC) et la prise de la tension artérielle.

Des examens complémentaires peuvent être réalisés en fonction de la clinique, notamment un bilan biologique en vue d’un diagnostic différentiel.

 

AE

Il est recommandé de ne prodiguer des conseils hygiéno-diététiques qu’avec circonspection et après avoir établi une alliance thérapeutique. Cela évitera de renforcer une perte d’estime de soi, une image dévalorisée du corps, une hyperactivité physique, des obsessions alimentaires ou des idées dysmorphophobiques.

 

Stratégie de prise en charge thérapeutique

La stratégie de prise en charge thérapeutique des manifestations dépressives à l’adolescence proposée (cf. figure 1) est définie en fonction des psychothérapies et du traitement antidépresseur présentés respectivement dans les paragraphes 4.3 et 4.4. Elle ne saurait occulter les interventions sur l’environnement présentées dans le paragraphe 4.5.

Psychothérapie (thérapie relationnelle)

AE

Il est recommandé de réaliser en première intention une psychothérapie chez un adolescent présentant un EDC.

Des approches à médiation corporelle, imaginaire ou créatrice peuvent être proposées en association pour favoriser l’acceptation des soins psychothérapeutiques par l’adolescent et sa famille.

 

Les psychothérapies (individuelles, familiales ou de groupe) les plus usuelles sont[1] :  

  • la thérapie de soutien ;
  • la psychothérapie psychodynamique ou d’inspiration analytique ;
  • la thérapie cognitivo-comportementale (TCC) ;
  • la psychothérapie interpersonnelle (TIP) ;
  • les thérapies systémiques ;
  • les thérapies psychocorporelles, présentes dans ces différentes approches mais considérées à part du fait qu’elles engagent plus particulièrement un travail « préréflexif » sur le corps propre.

Les données actuelles ne permettent pas d’affirmer la supériorité d’un type de psychothérapie sur un autre.

AE

Il est recommandé qu’une thérapie de soutien soit réalisée par un professionnel formé et habitué aux adolescents. Son efficacité sera évaluée après 4 à 8 semaines.

 

AE

En cas de résistance ou d’aggravation des symptômes après 4 à 8 semaines, il est recommandé de mettre en place une psychothérapie spécifique.

 

Encadré 2 - Caractéristiques d’une thérapie de soutien

Une thérapie de soutien devrait comprendre :

  • une attitude :
    • une écoute active,- une empathie ;
  • des actions :
    • une psychoéducation : promotion du soin de soi, des règles hygiéno-diététiques (activité physique, hygiène du sommeil et alimentation), information sur la maladie,
    • un travail de réflexion : clarifier les problématiques, travailler sur l’histoire du sujet, ses émotions, ses perceptions, aider à la résolution de problèmes et aux apprentissages d’habiletés, etc.,
    • une restauration des investissements et des projets,
    • une programmation précise de rendez-vous dans ce cadre ;
  • des collaborations :
    • une vérification et un maintien de l’alliance thérapeutique avec l’adolescent et les parents,
    • une relation collaborative impliquant les parents, la famille et/ou l’entourage (établissement scolaire notamment) de manière adaptée à l’âge et à la situation ; et impliquant la construction d’objectifs communs,
    • une guidance parentale et une prise en charge psychosociale si nécessaire,
    • des aménagements de la scolarité si nécessaire.

 

AE

Une psychothérapie spécifique est recommandée face à une dépression sévère ou complexe : dépression persistante, associée à des comorbidités ou des difficultés relationnelles et/ou familiales.

L’indication et le choix d’une psychothérapie spécifique reposent sur de nombreux facteurs parmi lesquels :

  • la disponibilité et l’engagement du thérapeute ;
  • l’attente des demandeurs, leur culture, leurs croyances, leurs expériences antérieures ;
  • la nature des symptômes et du fonctionnement psychique.

Son efficacité sera évaluée après 4 à 8 semaines.

 

AE

Il est recommandé de choisir le type de psychothérapie spécifique le plus adapté à la situation avec un avis spécialisé et de présenter cette psychothérapie au patient et à ses parents.

 

AE

En cas de résistance ou d’aggravation des symptômes après 4 à 8 semaines ou de signe de gravité empêchant tout travail relationnel, il est possible d’associer un traitement antidépresseur (cf. paragraphe 4.4).

 

Encadré 3 - Caractéristiques d’une psychothérapie spécifique

L’efficacité d’une psychothérapie spécifique repose sur les qualités du thérapeute :

  • des compétences générales :
    • la capacité à travailler en collaboration avec les partenaires,
    • la compréhension du développement normal, atypique ou psychopathologique de l’adolescent,
    • la compréhension des modèles et outils thérapeutiques, des recommandations ;
  • un savoir-faire :

    • construire et maintenir l’alliance thérapeutique avec l’adolescent et la famille,
    • construire une relation collaborative et un objectif commun,
    • proposer des approches diversifiées pour favoriser le soin :
        • différentes approches théoriques,
        • différentes personnes impliquées : approche individuelle, groupale, familiale,
        • différentes modalités : préférentiellement verbales ou psychocorporelles,
        • thérapies non médiatisées et médiations : corporelles, créatives, culturelles,
    • proposer des approches plurisystémiques : patient-thérapeute, patient-thérapeute-parents, patient-thérapeute-groupe, patient-thérapeute-famille, etc.,
    • recourir à un tiers voire envisager des thérapies bifocales chez les adolescents présentant des fonctionnements les mettant particulièrement en difficulté dans les relations interpersonnelles,
    • intégrer ces approches de manière cohérente,
    • allier stabilité, régularité des rencontres et une certaine souplesse du cadre,
    • faire preuve d’empathie et s’adapter au contenu émotionnel de chaque rencontre,
    • s’adapter à chaque individu, par exemple :
        • adaptation à la culture, aux croyances, aux attentes du patient concernant le choix de la méthode (approche théorique), le cadre (individu, famille, groupe), du style thérapeutique et de la durée du traitement,
        • adaptation au fonctionnement psychique du patient :
            • style d’attachement du patient,
            • modes défensifs prévalents,
            • difficulté de symbolisation et de verbalisation,
            • préférer les méthodes orientées sur les relations et l’insight chez les patients ayant des stratégies internalisées et les méthodes comportementales chez ceux ayant des stratégies externalisées,
            • adaptation du degré de directivité en fonction de la réactivité sur l’axe opposition/conformation,
            • adaptation des stratégies au stade de changement : préférer le travail sur la prise de conscience et l’expression émotionnelle à la phase de contemplation ; et préférer le travail sur le développement des capacités et du comportement au stade de l’action,
    •  la mise en place d’un travail sur soi et la capacité à utiliser ses méta-compétences ;
  • un savoir-être :
    • être relativement flexible,
    • être empathique et soutenant sans emprise (le risque d’emprise est particulièrement sensible à l’adolescence),
    • éviter les attitudes passives, questionner respectueusement, utiliser l’humour, utiliser des métaphores,
    • être authentique : exposer clairement sa pensée et communiquer son expérience avec humilité,
    • évaluer la qualité de la relation, saisir les retours d’expérience et repérer les moments de rupture,
    • poser les limites,
    • gérer la fin des soins.

 

Traitements psychotropes

►  Place des traitements psychotropes

AE

Il est recommandé d’aborder tout trouble dépressif sans délai dans sa dimension relationnelle. Avant toute prescription médicamenteuse, le médecin se prescrira comme thérapeute dans le cadre de rencontres régulières.

 

Le traitement médicamenteux :

  • ne se substitue pas à la psychothérapie ;
  • ne doit jamais être prescrit isolément ;
  • est seulement indiqué dans un nombre réduit de cas.

Il est important de préciser à l’adolescent que cette prescription ne signifie pas qu’il reste passif face à sa propre biologie et ses stratégies d’adaptation. Même si la prescription est indiquée, la stratégie de soins doit continuer de considérer ce sujet comme acteur de ses soins.

 

►  Antidépresseurs

AE

Il est recommandé de ne pas prescrire un traitement antidépresseur dès la consultation au cours de laquelle le médecin a identifié une problématique dépressive.

 

AE

Il est recommandé de ne pas prescrire un antidépresseur pour traiter :

  • les épisodes dépressifs caractérisés d’intensité légère (selon le DSM-5 ou la CIM-10) ;
  • les symptômes dépressifs subsyndromiques : symptômes isolés ou en nombre insuffisant pour remplir les critères d’un EDC (selon le DSM-5 ou la CIM-10), ou symptômes d’intensité sévère mais d’une durée inférieure à 15 jours.

 

AE

Même dans les EDC d’intensité modérée à sévère (selon le DSM-5 ou la CIM-10), il est recommandé de ne pas prescrire en première intention un traitement antidépresseur, ni seul ni associé à une thérapie relationnelle.

Le traitement antidépresseur ne peut se justifier qu’en cas :

  • de résistance ou d’aggravation après 4 à 8 semaines de psychothérapie (thérapie relationnelle) ;
  • ou de signe particulier de gravité empêchant tout travail relationnel, dans l’objectif d’obtenir une réduction symptomatique susceptible de permettre le travail psychothérapeutique et de réduire le risque de rechute/récidive.

Il est recommandé d’associer au traitement antidépresseur une psychothérapie adaptée.

 

B

En cas de prescription d’un traitement antidépresseur, seule la fluoxétine est recommandée dans l’EDC de l’adolescent dans le cadre des soins de premier recours[2].

 

En l’absence de données précises sur l’adaptation des doses, la posologie peut débuter par une demi-dose par rapport à la dose adulte pour atteindre en 1 à 2 semaines celle indiquée chez l’adulte.

C

Il est recommandé de surveiller étroitement le patient par des consultations régulières surtout dans les premières semaines qui suivent l’introduction du traitement pour rechercher un comportement suicidaire, une majoration de l’hostilité, une agitation ou un autre facteur majorant le risque suicidaire (conflit interpersonnel, alcool, etc.). Le patient et son entourage doivent être informés sur ce sujet pour consulter rapidement en cas de modification de l’humeur.

 

C

Il est recommandé d’effectuer un suivi de croissance et de maturation sexuelle (courbe staturo-pondérale, IMC, stade de Tanner). Lors d’une prescription chez un adolescent prépubère, au-delà de 3 mois de traitement antidépresseur, une surveillance du bilan endocrinien est recommandée et une consultation avec un pédiatre doit être envisagée en cas de doute sur le déroulement de la croissance ou de la maturation sexuelle.

 

Il est souhaitable que la durée totale du traitement antidépresseur d’un EDC se situe entre 6 mois et 1 an dans le but de prévenir les récidives. L’arrêt du traitement ne doit pas se faire à l’initiative du patient ou de sa famille sans accompagnement médical.

L’arrêt du traitement antidépresseur sera toujours progressif sur plusieurs semaines ou mois pour prévenir le risque de rechute. Il apparaît préférable de choisir une période de stabilité de la vie sociale et affective de l’adolescent afin de mieux apprécier le retentissement et la rechute sans mêler plusieurs variables. En outre, un syndrome de sevrage peut apparaître en cas d’arrêt brutal. Dans ce cas il est souhaitable de rassurer le patient sur le caractère temporaire de ce symptôme, et si nécessaire revenir temporairement à la posologie précédente avant de reprendre un arrêt plus progressif.

 

►  Anxiolytiques et hypnotiques

AE

Il est recommandé de ne pas prescrire en première intention un traitement anxiolytique ou hypnotique, notamment pour traiter l’insomnie, l’anxiété ou une comorbidité anxieuse associée chez un adolescent présentant un EDC. Si le traitement anxiolytique ou hypnotique est nécessaire, il doit être de courte durée et accompagné par des mesures hygiéno-diététiques et une psychothérapie.

 

►  En cas d’urgence

AE

Il est recommandé de ne pas prescrire un antidépresseur dans une situation d’urgence qui nécessite une prise en charge immédiate, éventuellement en milieu hospitalier.

D’autres psychotropes sont plus adaptés en situation d’urgence pour traiter :

  • une insomnie importante associée ;
  • une attaque de panique associée ;
  • des symptômes psychotiques sévères associés ;
  • une agitation anxieuse.

 

Interventions sur l’environnement

AE

L'intervention ne doit pas se limiter à l'adolescent seul. Il est recommandé de mobiliser l'entourage familial, social et scolaire.

 

Dans le cadre du travail sur les liens, les interventions sur l’environnement sont multiples et peuvent être directes ou indirectes par l’intermédiaire de travailleurs sociaux, de médecins scolaires, d’infirmiers scolaires ou d’acteurs scolaires :

  •  interventions centrées sur la famille :
    •  guidance familiale,
    • psychothérapie de l’adolescent impliquant les familles,
    • psychothérapie individuelle pour un membre de la famille en souffrance,
    • psychothérapie familiale ;
  •  interventions centrées sur la scolarité :
    •  maintien d’une bonne intégration scolaire, soutien scolaire, aide aux devoirs, 
    • soins partagés avec les relais en milieu scolaire : médicaux (médecins scolaires), paramédicaux (infirmiers), ou auxiliaires de vie scolaire (AVS),
    • aménagement de la scolarité (PAI : projet d’accueil individualisé, PPRE : projet personnel de réussite éducative) et éventuellement inscription au CNED (Centre national d’enseignement à distance) ou équivalent ;
  •  interventions centrées sur le handicap psychique (enseignement spécialisé) ;
  •  interventions centrées sur la protection, la contenance et/ou le changement contextuel :
    •  gestion d’un problème de harcèlement,
    • protection d’un mineur en danger (ASE : aide sociale à l’enfance, PJJ : protection judiciaire de la jeunesse),
    • aide éducative au domicile (AED, administratif) ou aide éducative en milieu ouvert (AEMO, judiciaire),
    • changement de lieu de vie ou de scolarisation : changement d’école, intégration d’un internat scolaire, placement en famille d’accueil, en lieu de vie, en foyer 
    • hospitalisation, internat thérapeutique, structure de soins-études.

 


[1] Les thérapies autres que la thérapie de soutien sont des psychothérapies spécifiques.

[2] Dans son avis du 9 juillet 2014, la commission de la transparence a considéré que le service médical rendu par Prozac® était insuffisant chez l’enfant âgé de 8 ans et plus dans les épisodes dépressifs majeurs (c'est-à-dire caractérisés) modérés à sévères, en cas de non-réponse à l'issue de 4 à 6 séances de prise en charge psychothérapeutique. Le rapport efficacité/effets indésirables de la fluoxétine est mal établi dans cette indication.

 

Recommandations organisationnelles et perspectives

Formation des médecins de premier recours et aspects relationnels

Pour améliorer les capacités de repérage des médecins de premier recours, il est souhaitable de faciliter et promouvoir :

  • la formation tant sur les manifestations dépressives de l’adolescence que sur les défenses ou résistances des professionnels ;
  • la disponibilité de tests simples facilement utilisables ;
  • l’amélioration de l’organisation du parcours de soins ;
  • la continuité des soins.

Il est souhaitable de sensibiliser et former les médecins de premier recours aux aspects relationnels essentiels aux soins de l’adolescent :

  • connaissance des particularités du développement à l’adolescence (physique, psychoaffectif, sociofamilial) ;
  • connaissance du contexte sociétal de l’adolescent d’aujourd’hui ;
  • ouverture aux particularités culturelles de chacun ;
  • capacités de communication et d’adaptation relationnelle : disponibilité, fiabilité, empathie, respect, écoute active, souplesse, capacité à poser des limites claires (savoir marquer sa différence), capacité à rester dans son rôle (chaque intervenant doit connaître les limites de ses fonctions et savoir passer la main), capacité à entrer en relation avec un adolescent réticent ou agressif, capacité à construire une alliance thérapeutique ;
  • capacité de collaboration interprofessionnelle.

Aspects organisationnels entre professionnels

Il est nécessaire de faciliter l’accès aux soins grâce à des adaptations structurelles et socio-culturelles spécifiques à l’adolescence :

  • adaptations structurelles :
    • favoriser l’accessibilité (directe et/ou indirecte) aux intervenants,
    • adapter les lieux : environnement, apaisant, avec des espaces de confidentialité,
    • favoriser le transfert d’information (en respectant les espaces de confidentialité),
    • identifier son réseau professionnel,
    • des actions de recherche partagées ;
  • adaptations socioculturelles :
    • lutter contre la stigmatisation de la maladie mentale par :
        • une implication des médecins dans des actions d’information à destination du grand public, en association avec des organisations cohérentes,
        • la clarification et la communication des parcours de soins (formation, plaquettes, site Internet ; création et identification de lieux dédiés),
    • faire connaître l’utilité de soins ayant fait leurs preuves,
    • former, superviser et réaliser des actions de recherche partagées avec les professionnels travaillant auprès des adolescents en associant ces actions à une organisation des soins.

Une bonne organisation des liens entre professionnels améliore le repérage, la sensibilité et la spécificité du diagnostic, la qualité de l’orientation et l’efficacité du traitement. Cette organisation passe par :

  • des actions préalables de formation et d’organisation :
    • l’amélioration des délais d’attente vers les soins spécialisés, l’amélioration de l’accès aux psychothérapies,
    • formation et recherche associées à l'organisation des soins,
    • des soins partagés : réseau de soins, « maison des adolescents », définition d’une « mission de soins », réunions de synthèse, échanges téléphoniques et lignes téléphoniques dédiées aux médecins de premier recours (voire mail et/ou télécommunication) ;
  • des actions spécifiques pour chaque prise en charge :
    • la définition, pour chaque situation, des places de chacun : lors d’interventions multifocales, pluridisciplinaires et plurisystémiques, la place de chacun peut être définie en suivant le modèle historiquement proposé par la « thérapie bifocale » dans lequel le « consultant » (thérapeute) principal gère la coordination des soins somatiques et psychiques, les actions sur les contraintes externes (environnement et relations), et engage avec l’adolescent un travail préparatoire et de soutien des autres espaces de soins notamment ceux de la psychothérapie,
    • l’échange de courriers entre médecin de premier recours et (pédo)psychiatre lors d’une première consultation[1] et par la suite si nécessaire,
    • des consultations régulières jusqu’à la transition effective. Il est recommandé que le rendez-vous donné soit d’autant plus proche que la situation est sévère.
 

Cf. Les courriers échangés entre médecins généralistes et psychiatres lors d’une demande de première consultation par le médecin généraliste pour un patient adulte présentant un trouble mental avéré ou une souffrance psychique. Recommandations du Collège national pour la qualité des soins en psychiatrie (CNQSP). Février 2011 ;